[le livre de la semaine] La Fille du sculpteur, de Tove Jansson: fais comme l’enfant
L’autrice finlandaise Tove Jansson, créatrice des Moumines, conte une jeunesse jamais mièvre où l’aventure quotidienne a tout à voir avec la poésie
On le sait notamment grâce à Pénélope Bagieu et ses Culottées, dont elle est une des nombreuses figures inspirantes: les premières années de Tove Jansson (1914-2001), au début du XXe siècle, furent lumineuses, entre des parents artistes (Viktor, sculpteur, et Signe, illustratrice) qui respectaient sa propre créativité naissante et son libre arbitre. Même si c’est un roman, c’est donc tout à fait à l’encre de ses souvenirs chéris que s’écrit La Fille du sculpteur, publié en suédois en 1968. Dans cette vingtaine de vignettes exquises d’une dizaine de pages tout au plus (comme des flipbooks qui, dès la dernière image, donneraient aussitôt envie d’y replonger), on retrouve une espièglerie et une limpidité communes non seulement aux Moumines mais aussi à d’autres héros d’enfance nordiques, comme ceux d’Astrid Lindgren (Fifi Brindacier, Zozo la Tornade). Entre Helsinki et une île de l’archipel de Porvoo, où une surprise surgit toujours dans les baies, on apprend à dessiner les forêts, on cueille les champignons, et on nourrit les oiseaux qu’ils soient mouettes, goélands ou canaris virulents.
Gamine frondeuse
Du genre à faire place autant à la jalousie (Le Veau d’or) qu’à la colère ou à la possessivité (La Pierre), la fillette qui se raconte ici n’a certes rien d’exemplaire mais ça la rend d’autant plus attendrissante, comme lorsqu’elle découvre un iceberg et le trouve si « insupportablement beau » qu’il lui faut aussitôt trouver un moyen de s’en débarrasser. Si la mélancolie creuse volontiers son sillon (ces minutes qui « se répètent encore et encore et pour lesquelles personne ne peut rien faire« ), il y a malgré tout toujours des parades pour la faire fondre, ou lui trouver un sens. L’héroïne, nourrie à un imaginaire fécond (tantôt tendre, tantôt effroyable) croit aussi à l’intense puissance du langage (« Explosion est un mot magnifique et très grand. Plus tard, j’ai appris d’autres mots comme ceux qu’on ne peut murmurer que quand on est seul. Inexorable. Ornementation. Profil. Catastrophique. Électrique. Comptoir colonial« ). Il y a, chez Tove Jansson, toujours une telle drôlerie teintée de profondeur philosophique que l’on prend goût à ces micro-leçons de vie délivrées par cette gamine frondeuse et pensive. On l’imagine volontiers les sourcils plissés lorsqu’une idée tenace surgit en elle: « Il se peut que rien ne soit vraiment important du moment que ça soit suffisamment petit. Du moins, c’est ce que je crois. » On ne peut, en définitive, que s’éprendre pour la vie entière d’une telle oeuvre -de quoi se réfugier douillettement en attendant qu’un jour « le brouillard se lève et le vent tourne » et que revienne le temps de fêtes au rythme de la balalaïka.
La Fille du sculpteur
De Tove Jansson, éditions La Peuplade, traduit du suédois par Catherine Renaud, 176 pages. ****
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